Les paradoxes de la prise de fonction- Partie 2

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Dirigeants, les paradoxes de la prise de fonction (suite et fin)

 

Une prise de fonction menée au pas de charge

Patrick est un leader confirmé qui a bâti ses succès sur sa capacité à penser le futur et à bien vendre ses projets à son entourage. Pas vraiment intéressé par les détails, il aime anticiper, rêver et tire son énergie de l’ambition des projets qu’il entreprend. Rapide et travailleur, il peut avoir des difficultés à déléguer tant son niveau d’exigence est élevé. Sans effort, il a un pouvoir d’attraction et son aura conduit certains de ses collaborateurs à le suivre aveuglément. En revanche, même s’il en a rarement conscience, il épuise son entourage par son dynamisme et par ses ambitions sans cesse renouvelées. D’autre part, même s’il privilégie un leadership responsabilisant et participatif, il a parfois des difficultés à réellement collaborer. Il semble adopter une position d’écoute, mais il préfère convaincre que transiger. Face à des oppositions, il évite le conflit et essaye de mener à bien ses projets par lui-même en trouvant de nouvelles alliances plus dévouées.

Lors de son arrivée dans sa nouvelle organisation, Patrick fait rapidement l’unanimité. Le vent de fraîcheur qu’il amène dans le contexte d’une culture conservatrice convint ses équipes qu’un futur radieux est possible. Durant ses premiers mois, Patrick explique ses ambitions, rencontre ses équipes, multiplie les visites aux différentes filiales. Il crée une dynamique que l’organisation n’avait pas connue depuis longtemps.

Néanmoins, après quelques mois de “lune de miel”, quelques nuages apparaissent. Notamment, certains membres de son équipe de direction développent une résistance passive afin de s’opposer au rythme que souhaite leur imposer leur président. Face à cela, Patrick remplace les 2 membres les plus opposés à sa façon de voir les choses. Cela crée un premier choc, tant l’organisation n’a pas l’habitude de se séparer de ses collaborateurs de cette façon. Au cours de cette période, Patrick peine à montrer des preuves de la concrétisation de ses ambitieux projets. En conséquence de quoi, le conseil d’administration commence à s’impatienter, plus grave encore, des rumeurs commencent à se répandre sur l’incapacité de Patrick à tenir ses promesses. De son côté, Patrick s’impatiente de la lenteur de l’organisation et de ses collaborateurs. En réaction, il a tendance à travailler de plus en plus seul ou avec les personnes qu’il a recrutées. Il s’isole en s’appropriant les dossiers stratégiques.

Finalement, en moins de 9 mois, Patrick passe du statut de leader charismatique qui aurait permis à l’organisation de partir sur de nouveaux rails à celui de leader secret qui agit en solitaire pour des intérêts incertains.

 

Un échec prévisible

Si l’on analyse la prise de fonction de Patrick et les pièges qu’il n’a pas réussi à éviter, nous pouvons les résumer ainsi :

  • Patrick a abordé son rôle avec confiance et assertivité. Il a d’abord essayé de comprendre son environnement professionnel et d’affaires en s’appuyant sur ses expériences passées. Mais, très rapidement, il a davantage cherché à convaincre plutôt que de réellement écouter. En ce sens, il s’est laissé porter par sa passion, ses intuitions pour développer un futur engageant mais sans prendre le temps de remettre en question ses propres certitudes. Il a probablement manqué d’humilité en ne s’appuyant pas suffisamment sur la perspective de ses collaborateurs directs et en ne prenant pas suffisamment le temps de comprendre la culture de son organisation.
  • De nature visionnaire, Patrick a également fait trop confiance au pouvoir de sa vision et de son enthousiasme. Peu attiré par les détails, il s’est tenu volontairement en retrait des opérations en espérant inconsciemment que ses équipes seraient capables de concrétiser et de mener à bien ses projets visionnaires. Ceci a eu pour effet d’éloigner peu à peu l’intention qu’il cherchait à promouvoir de sa mise en œuvre concrète. Ainsi, il n’a pas pu montrer des résultats rapides qui auraient permis de rassurer les équipes et son conseil d’administration. Une grande partie de l’organisation s’est alors retrouvée dans un état de confusion face au manque de clarté, non pas sur l’intention, mais sur les modalités opératoires qui auraient permis à cette intention de devenir réalité.
  • Alors qu’il avait démarré son mandat en communiquant et en rencontrant les employés, peu à peu il s’est isolé et est devenu beaucoup moins présent. Il s’est finalement retrouvé sans véritables partenaires de confiance au sein de l’organisation avec lesquels il aurait pu avoir des échanges constructifs.

 

Des pistes de réflexion pour réussir sa prochaine prise de fonction

Patrick n’a pas réussi sa prise de fonction. Cet échec peut se traduire par son incapacité à gérer des attentes contradictoires propres à la prise de fonction d’un dirigeant. En tant que coach, afin de l’aider à réussir sa prochaine prise de fonction, nous devrions tout d’abord l’interroger sur ses apprentissages et ce qu’il aurait pu faire différemment pour avoir plus de succès. Cette question préalable est fondamentale afin de mesurer la capacité de Patrick à comprendre son environnement de façon précise et équilibrée.

Une fois cette réflexion préalable nous pourrions aborder avec lui les sujets suivants :

  1. Comment va-t-il prendre le temps, et quels sont les moyens qu’il va mettre en œuvre pour véritablement comprendre son organisation, sa culture, son histoire, ce que cette organisation est capable d’accepter comme changements et à quel rythme ?
  2. Le changement implique de l’ambiguïté et parfois de la confusion. Dans ce contexte, le rôle d’un leader est d’essayer de clarifier continuellement ce qui ne peut l’être totalement. Ainsi, Patrick devra d’une part exprimer et expliquer sa vision (ce qu’il semble bien savoir-faire) mais d’autre part, passer le temps suffisant, pour rendre cette vision explicite et concrète pour chacun de ses employés. Il doit garder à l’esprit que sa propre acceptation de l’ambiguïté (qui semble grande) n’est pas forcément celle de ses collaborateurs.
  3. La passion et l’énergie sont un plus en gestion, mais seulement si elles sont maîtrisées. Comment Patrick peut-il prendre de la hauteur par rapport à ses propres élans et ainsi être capable de faire preuve d’une certaine objectivité rationnelle dans ses jugements et ses décisions ?
  4. Comment trouver des relais influents en interne sans s’appuyer seulement sur les nouvelles ressources qu’il pourra recruter ? Embarquer tous les membres de son équipe de direction n’est pas une option, c’est une nécessité fondamentale pour réussir sa prise de fonction.
  5. Les résultats de demain font partie du rêve. Quels seront les délivrables tangibles à court terme sur lesquels il pourra s’appuyer ? Comment Patrick va-t-il s’assurer que ces délivrables seront connus et reconnus par l’ensemble des parties prenantes de sa nouvelle organisation ?

Gageons que, fort de cette expérience, Patrick saura rebondir et ainsi mettre à profit ses belles qualités de leader.

 

 


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